La plupart des relations de couples sont basées sur des liens réciproques névrotiques, en lesquels la femme et l’homme identifiés
à des « personnes » fortement conditionnées par des histoires familiales, raciales, ethniques et autres, tissent des rapports liés au manque affectif à combler, au besoin de se remplir de
l’autre, de pérenniser des mœurs et traditions ancestrales et ainsi entretenir des schémas de constructions centrées sur des egos en situation de souffrances, de projections et d’attentes à
satisfaire.
Ainsi les couples donnent-ils à voir des rapports entre images modélisées, achevées ou en voie de consolidation, donc centrées sur
des liens de surface, rarement sur des relations dénuées de tout désir d’appropriation, de soumission, de séduction ou autres stratégies mises en place par des « moi » en mal de vie.
On ne peut à proprement parler d’amour dans les couples habituellement rencontrés, mais le désir d’aimer et le désir d’être aimé
entre personnes identifiées à des représentations est construites sur des structures et schémas névrotiques remontant souvent à la petite enfance.
Ainsi voit-on le plus souvent une femme, prisonnière d’un conditionnement traditionnel, familial, social, éducatif et religieux
totalement aliénant, se placer sous le joug dominateur d’un mari soumis aux mêmes schémas archaïques, lui-même soucieux de poursuivre par sécurité et par habitude dans la même voie que ses
aïeux.
L’un et l’autre ainsi modelés dans des processus identificatoires bétonnés depuis des siècles dans notre société d’ego de masse,
ne peuvent rien faire d’autre que de reproduire de façon répétitive les schémas connus et reconnus sur lesquels leurs aînés et eux-mêmes fonctionnent. Les deux individus, identifiés à des
personnes fragmentées et séparées, connaissent évidemment un « amour » à la hauteur de leur désir de continuer à vivre dans la segmentation et dans la représentation. Sécurité, assurance,
violence et peur sont, aujourd’hui, le lot des relations de couples, jusqu’à ce que l’individu – la femme en général – réalise, dans un éclair de lucidité explosive, l’irréalité et la fausseté
d’un tel mode de vie aliénant qui ne lui convient plus. Il casse alors les images projetées qui le clouaient à des stéréotypes de bonne mère ou de mauvais père, de mari jaloux ou de femme
soumise. Il ne veut plus alimenter une névrose de couple en lequel l’époux joue le rôle de père ou de fils de substitution et en lequel l’épouse est identifiée à la mère, à l’amante ou à la fille
de son mari. Sa vision clairvoyante des jeux et stratégies de l’ego est à ce point si pénétrante qu’elle est un moteur d’action immédiate. L’individu qui perçoit de la sorte la dimension factice
du moi enchaîné change de direction journalière, refuse d’alimenter les névroses d’antan et prend un cap à contre-courant de l’ancienne ligne de moindre résistance.
Si cette prise de conscience n’a lieu que chez l’un des partenaires, l’équilibre du couple bascule, l’amour jusque-là basé sur le
seul désir d’aimer s’émousse rapidement et le doute d’un avenir commun, projeté dans une même direction, s’installe, laissant planer à l’horizon conflit, séparation et divorce.
Il est aisé de constater que les confusions de représentations et d’images liées à la « personne » ne peuvent pas être négociables
ni même être levées par le couple tant que l’ego de l’un et l’autre est maître de la situation, car le « moi » ne sait rien faire d’autre que de se répliquer à l’infini. Chaque couple, s’il veut
vivre dans l’amour, doit donc au préalable faire face avec lucidité aux blessures résiduelles de l’enfant intérieur qui habite chaque être, aux représentations et images dans lesquelles il
transporte le partenaire à son insu ou avec son accord. S’ils n’y prennent garde, l’un et l’autre tissent de façon névrotique des rapports et des liens entretenus et basés sur des manques et
besoins de compensation liés à l’adolescence ou à l’enfance et non sur de libres échanges entre adultes, dénués de tout intérêt personnel d’appropriation ou d’autosatisfaction.
Sans ce travail de réparation individuelle et en l’absence de lucidité portant sur le constat réel du mode de fonctionnement de la
vie de couple, il ne peut exister réellement d’amour entre deux partenaires mais une vague liaison centrée sur des désirs, des besoins à combler et sur des fragmentations liés à l’absence
affective contractée dans l’histoire psychologique de chacun. La restauration de la dimension authentique de l’être de chacun des partenaires est indispensable et elle passe par l’abolition de
l’autorité de son propre ego.
Un couple n’est pas en effet quelque chose de préexistant à la rencontre entre deux personnes – car dans ce cas il s’agit plus de
« paire » que de « couple » – mais obéit à une construction tissée sur l’observation libre de soi-même et de l’autre à chaque instant et sur l’écoute désintéressée mais active des schémas
d’édification du partenaire et de soi-même.
Chacun doit tôt ou tard se mettre totalement à nu face à l’autre, se dépouiller entièrement de tout transfert de rôle ou d’image
et de toute peur d’être jugé, déprécié ou culpabilisé. La véritable force d’amour liant deux êtres les conduit naturellement à se livrer entièrement, à s’abandonner pleinement, sans gêne ni
retenue, tant au niveau des sens qu’au niveau du corps, du cœur ou de l’esprit. Un état de confiance absolu règne dans l’amour d’un couple, en lequel chacun est « ouverture » libre à l’autre, en
tant qu’être harmonique, ayant notamment intégré sa propre non-dualité, c’est-à-dire sa double dimension féminine et masculine.
La complicité, l’entraide, la solidarité, l’écoute attentive et la compréhension aimante des faiblesses et forces de chacun, la
connaissance des particularités des caractères de chacun, de leurs goûts, de leurs fantasmes, de leurs attentes comme de leurs craintes, renforcent évidemment la qualité des liens d’amour. Toute
la « personne » doit être au préalable explorée, vue, observée, livrée puis vidée et abandonnée avant que l’amour ne puisse s’éveiller sur le plan de l’être. Et ce processus ne peut s’engager que
si les deux partenaires s’engagent réciproquement dans la même voie et poursuivent le même cap.
La rencontre d’amour se produit donc lorsque le concept de « personne » est entièrement aboli et que n’existe qu’un réel ressenti
dépouillé entre les deux êtres. Ce ne sont pas alors deux individualités, deux enfants ou deux adolescents ou deux personnes « étrangères » et séparées qui s’aiment par souhait de domination ou
de soumission, de séduction ou par simple désir sexuel, mais deux adultes unis par un lien authentique vivant un plein amour librement consenti, dont la sexualité n’est notamment qu’une partie
intégrante du désir d’aimer et d’être aimé. Dans ce cas-là, il devient évident que le couple constitue une unité non différenciée, à telle enseigne qu’on peut affirmer que l’équation 1+1=1 n’est
plus un paradoxe mathématique.
L’amour du couple n’est pleinement accompli que si les partenaires sont libres de tout concept, déterminés à s’engager dans une
construction commune, en paix avec leurs histoires réciproques, prêts à s’abandonner totalement l’un à l’autre et lorsque l’image de soi liée à la personne séparée cesse définitivement d’être à
l’avant-scène. L’effacement du « moi » individuel de chaque partenaire est d’ailleurs le plus sûr garant de la dynamique de la flamme de l’amour qui unit la femme et l’homme.
Serge Pastor
Extraits de l’ouvrage « AUTORISE-TOI A (T’)AIMER » de Serge Pastor, paru en février 2005 aux Editions A.L.T.E.S.S.
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